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Wikipédia, encyclopédie sous haute surveillance

Véritable référence, l’encyclopédie gratuite en ligne est aussi critiquée à l’extérieur que surveillée à l’intérieur.

FAUT-IL se méfier de Wikipédia, l’encyclopédie en ligne accessible gratuitement, et rédigée par le peuple pour le peuple ? Avec plus de 6 millions d’articles disponibles en 250 langues, dont 420 000 en français, cette mine de savoirs est devenue l’un des 15 sites les plus visités du Web. Plébiscitée par les uns, elle est pourtant régulièrement critiquée par les autres pour sa qualité et son mode de fonctionnement.

Car Wikipédia n’est pas une encyclopédie comme les autres. Lancée en 2001 par le ­philosophe Larry Sanger et l’homme d’affaires Jimmy Wales, elle ne s’enrichit que des ­contributions des internautes, qu’ils soient chercheurs, ingénieurs ou simples citoyens. N’importe qui peut y rédiger un article, ­supprimer et ajouter des passages. Aucune contribution n’est contrôlée a priori. Et s’il est conseillé de créer un compte pour s’identifier et se faire connaître des autres membres, cette procédure n’est pas obligatoire. Il suffit de cliquer sur l’onglet « Modifier » d’une page de Wikipédia pour corriger son contenu. Ce qui ouvre parfois la porte à des abus. Début 2006, la presse américaine révélait ainsi que plusieurs parlementaires avaient modifié leur biographie pour la rendre « plus flatteuse »…

Politiciens en mal de publicité, artistes inconnus, membres de sectes et autres ­militants politiques viennent régulièrement sur Wikipédia pour réécrire l’histoire, promouvoir leurs idées. Ou faire de mauvaises plaisanteries. Comme l’affaire Seigenthaler, qui a éclaboussé Wikipédia fin 2005. Ce journaliste américain, ancien assistant de Robert Kennedy, a ­découvert dans sa biographie publiée sur Wikipédia qu’il était soupçonné de complicité dans l’assassinat des frères Kennedy et qu’il avait alors dû se réfugier en URSS ! Une sale blague, restée plus de quatre mois en ligne avant d’être repérée. « C’est que Seigenthaler n’est pas une grande célébrité, expliquait alors Jimmy Wales. En général, la correction d’une erreur ou d’une information fallacieuse a lieu en quelques heures, voire en quelques minutes. »

Une école d’humilité

Car ainsi va Wikipédia : les lecteurs ne sont pas seulement contributeurs. Ils sont aussi correcteurs et censeurs. « Chaque rédacteur surveille les pages auxquelles il a collaboré ou qui traitent de sujets qui l’intéressent, mais aussi celles sur lesquelles on constate beaucoup d’activité », confirme David Monniaux, l’un des 130 administrateurs de Wikipédia en français. Ce qui permet de détecter rapidement les actes de vandalisme. Mais aussi les contributions médiocres ou erronées. « L’arrivée massive de nouveaux contributeurs, pleins de bonne volonté mais peu informés des règles de ­Wikipédia, entraîne une régression de la qualité des articles », constatent les wikipédiens.

Il faut dire que des millions d’internautes participent à la rédaction des articles sur ­Wikipédia, plusieurs dizaines de milliers dans sa version francophone. Parmi eux, « quelques spécialistes, signale David Monniaux. Par exemple des professeurs pour les thèmes scientifiques. Beaucoup d’étudiants aussi. En général, les auteurs préfèrent écrire sur leurs intérêts personnels et sur leurs hobbies que sur les sujets liés à leur domaine professionnel. D’autres se contentent de corriger des fautes de typographie et d’orthographe, d’ajouter des images ou des liens. » Cette forme de rédaction en commun est une véritable école d’humilité : les contributeurs doivent accepter que leur nom ne soit pas publié et que leurs textes soient modifiés par des inconnus. Une condition indispensable pour améliorer la qualité des articles, estiment les inconditionnels de ­Wikipédia, même si cela doit prendre du temps.

Débat houleux

Mais liberté ne signifie pas pour autant anarchie. Les administrateurs, élus parmi les contributeurs, ont le pouvoir de supprimer ou de protéger des pages, de bloquer ou d’exclure un contributeur suite à une décision du comité d’arbitrage, lui aussi composé de membres choisis par la communauté. « Les administrateurs ne décident pas d’une politique éditoriale, explique David Monniaux. Ils font appliquer les règles de civilité et peuvent sortir la matraque quand il y a des abus. » Pour éviter le vandalisme, certains articles ne peuvent être modifiés que par des habitués ou par les administrateurs. C’est par exemple le cas des pages sur ­Dieudonné, Jeanne d’Arc ou le Maroc. Au besoin, il est possible de revenir à une version précédente : l’historique des modifications de chaque article est sauvegardé.

« En cas de litige, chacun expose ses ­arguments et on cherche à les confirmer ou à trouver des formulations qui expriment les positions des uns et des autres. » Il s’ensuit des débats souvent houleux, qui permettent ­généralement à la présentation la plus neutre de l’emporter. Mais il arrive que les plus ­motivés et les plus assidus parviennent, de guerre lasse, à imposer leurs points de vue. Surtout en cas de désaccords entre experts, « très difficiles à gérer », selon David ­Monniaux : « Je me souviens d’une empoignade entre un historien et un moine franciscain, au sujet d’un article sur un théologien anglais du XIIIe siècle. Entre les arguties et les invectives, nous n’avons pas vraiment les moyens d’arbitrer. »

«Neutralité de point de vue»

D’autant moins que Wikipédia ne fait pas appel à des spécialistes pour valider les articles. Seule prévaut la « neutralité de point de vue » : les articles doivent être rédigés d’une manière indépendante des opinions, vues, préjugés idéologiques, culturels, philosophiques, etc. Ce qui suscite de nombreuses critiques sur l’exactitude de son contenu, même si la revue scientifique Nature a apporté sa caution à l’entreprise en concluant que « Wikipédia est une source d’information aussi valable que la vénérable encyclopédie Britannica », après avoir soumis des articles des deux encyclopédies à des spécialistes pour comparer leur qualité. « Le fait est que plusieurs experts participent déjà activement à Wikipédia, souligne David Monniaux. Il y a aussi des contributeurs qui demandent à des spécialistes de relire leurs articles. Mais nous réfléchissons actuellement à une association avec des universités. »

C’est précisément la question du recours à des spécialistes qui a amené Larry Sanger, l’un des cofondateurs de Wikipédia, à créer sa propre encyclopédie, Citizendium. L’objectif : « Offrir à des personnes ordinaires un espace dans lequel elles pourront travailler sous la direction d’experts et engager leur responsabilité personnelle en signant de leur vrai nom », explique-t-il. Un projet qui ne convainc pas David Monniaux. « Sanger veut sélectionner des experts sur leurs diplômes. Or, les diplômés posent parfois problème. Regardez les négationnistes : beaucoup d’entre eux sont diplômés en histoire et ont été recrutés par des universités. Si l’université n’arrive pas à faire le ménage parmi ses représentants, je ne vois pas comment nous pourrions le faire. Et puis, quels moyens aurions-nous d’éviter les débordements d’experts et comment arbitrer entre eux ? »

En attendant, Wikipédia continue de mener son petit bonhomme de chemin. Son fondateur, Jimmy Wales, va même lancer cette année un moteur de recherche, Search Wikia, fonctionnant sur le modèle de Wikipédia. Alimenté par les internautes pour les ­internautes, bien sûr.

Auteur :
Didier Sanz – Le 17 janvier 2007

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