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Je n’ai jamais parlé de mon enquête sur Clearstream avec Dominique de Villepin

Alain Juillet, responsable de l'intelligence économique au secrétariat général de la défense nationale

Depuis 2004, vous êtes responsable de l'intelligence économique au secrétariat général de la défense nationale (SGDN), rattaché au premier ministre. Selon Le Parisien, vous avez reconnu devant les juges avoir détruit un dossier Clearstream…

Mais pas du tout ! C'est une absurdité. Le 30 mars, jour de la perquisition dans mes locaux, lorsque j'ai vu arriver les deux juges et trois policiers, je leur ai dit : "Bonjour, si c'est pour l'affaire Clearstream, vous ne trouverez rien, j'ai détruit mon dossier." C'est la phrase qui s'est retrouvée dans les procès-verbaux. Mais j'expliquais aussi, et cela n'a pas été rapporté, qu'à chaque fois que je conclus une enquête, je détruis mes notes – une feuille blanche, ou un petit mémo.


L'inverse de Philippe Rondot…

Je connais bien Philippe, c'est un ami, il a toujours été comme ça! Il n'imaginait pas qu'on les saisirait un jour. Je suis fonctionnaire. Faire croire que, si j'avais détenu les preuves des manipulations dans l'affaire Clearstream, j'aurais enfreint l'article 40 qui contraint tout fonctionnaire à dénoncer à la justice des faits délictueux, c'est offensant.

Dans cette affaire, beaucoup n'ont pas eu ces scrupules…

J'ai certes détruit mes notes, mais je précise que je ne me suis jamais intéressé à l'affaire Clearstream en tant qu'affaire Clearstream. Je n'ai même jamais vu les fameux listings informatiques.

A quel titre avez-vous enquêté ?

Je ne fais pas de la politique, je fais de l'économie. Dans le cadre de mon boulot au SGDN, où je dirige une petite équipe de 14 personnes – sans moyens judiciaires –, je suis en contact avec les entreprises. J'informe les patrons sur ce qui se passe dans leur secteur, je récolte leurs confidences. J'ai naturellement été mobilisé pour la bagarre qui, à la tête d'EADS, a opposé Noël Forgeard à Philippe Camus. Je les ai rencontrés tous les deux, comme Jean-Louis Gergorin [ancien vice-président d'EADS] et Philippe Delmas [ancien numéro 2 d'Airbus], qui sont tous les deux des amis. Mon boulot, c'était de voir s'il n'y avait pas de risques de déstabilisation de l'entreprise.

Qui vous a saisi ?

Je me suis saisi tout seul. Quand vous sentez le lièvre quelque part… J'étais convaincu qu'il s'agissait d'une entreprise de déstabilisation du clan Forgeard par le clan Camus. Et lorsque Philippe Delmas a été arrêté, le 7 mai 2004, jour de l'inauguration de l'Airbus A380, je me suis dit : là, ça devient sérieux.

Et quand avez-vous arrêté d'enquêter ?

Au départ de Philippe Camus et à la prise de pouvoir d'EADS par Noël Forgeard, en juillet 2005. Le dossier, pour moi, était terminé. J'ai donc détruit mes notes.

Vous aviez identifié l'auteur des lettres anonymes ?

J'avais écrit dans mes notes que Jean-Louis Gergorin était le corbeau. J'ai quasiment été certain dès la fin de l'été 2004 qu'il était l'auteur de la première lettre adressée, en mai 2004, au juge Renaud Van Ruymbeke.

Vous étiez jusqu'en décembre 2003 le directeur du renseignement à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Pourquoi ne confiez-vous pas vos convictions au général Rondot, lui-même chargé d'une enquête sur les fichiers Clearstream ?

Il ne m'a jamais parlé de son enquête. C'est comme ça. Dans les services secrets, on cloisonne. C'est évidemment dommage qu'on ne se soit pas parlé, car on aurait alors pu croiser nos sources. Et puis, on travaillait différemment. Je n'ai pas fait une enquête de police. Moi, j'utilise le relationnel, j'essaie d'imaginer comment va se terminer l'affaire Forgeard-Camus. Rondot, lui, enquêtait sur les listings.

Vous n'avez pas rendu compte de votre enquête à Dominique de Villepin ?

Je n'ai jamais parlé de mon enquête sur Clearstream avec Dominique de Villepin. S'il m'avait convoqué, je l'aurais fait. Cela n'a pas été le cas. J'en ai en revanche discuté avec ses conseillers économiques. Sans rédiger aucune note.

En février 2003, le général Rondot vous a présenté Imad Lahoud lors d'un dîner. Quel rôle lui attribuez-vous dans l'affaire Clearstream ?

Ce que je sais, c'est qu'il a transmis à la DGSE une liste. En a-t-il gardé une copie ? Lahoud, je ne sais pas si c'est un hacker de génie ou seulement un très grand chef d'équipe, mais j'ai l'impression qu'on le diabolise.

Jean-Louis Gergorin a-t-il manipulé Imad Lahoud ? Mais qui n'est pas manipulé par Gergorin ?

Jean-Louis est très intelligent. C'est aussi un manipulateur. Ou plus exactement, il a des certitudes. A partir de là, il fait tout pour que la réalité devienne ce qu'il veut. L'histoire de l'assassinat de Jean-Luc Lagardère, ça a fait le tour de Paris. Je sais qu'il y croyait.

Si les juges vous convoquent, irez-vous au rendez-vous ?

J'irai. Mais je ne parlerai pas beaucoup.

Propos recueillis par Ariane Chemin et Gérard Davet
Source : Le Monde – Le 29 mai 2006

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